Redemption d'Adeola Olagunju : Guérir autrement

À l’occasion des rencontres photographiques d'Arles, j’ai pu assister à l’exposition Tear My Bra présentée par Azu Nwagbogu. Cette dernière met à l'honneur l'univers cinématographique de Nollywood à travers des affiches de films cultes, trailers, focus sur les acteurs phares et oeuvres de photographes de cet univers. En parcourant la thématique Tear My Bra, j’ai découvert l’artiste nigériane Adeola Olagunju, qui travaille essentiellement autour de la conceptualisation de l’environnement dans lequel elle évolue. Ceci par la mise en scène de ses mémoires qu’elle manifeste, la plupart du temps, sous forme picturale, photographique et cinématographique.

Pour Redemption, son exposition photo, l’artiste a choisi de partager l'expérience de guérison spirituelle dont elle a été sujette lorsqu'elle souffrait d'une tumeur à la gorge. « Irapada » est le mot en langue Yoruba (tribu dont elle est originaire) pour signifier la rédemption, une thématique souvent abordée tant sur la scène cinématographique que dans la littérature nigériane.

Au Nigéria comme un peu partout en Afrique, Dieu occupe une place prépondérante dans la vie de chacun et de nombreuses croyances sont associées à son culte. Ainsi dans la religion Yoruba, on veut que diverses forces divines régissent la destinée de chaque être sur terre et en fonction de chaque acte, une conséquence (mal) heureuse en ressort. Alors en cas de mauvais sort (maladie, perte d’emploi), une rédemption s’impose pour se débarasser de ses maux. Cette épreuve passe par la communion avec les esprits des ancêtres pour obtenir leur faveur grâce à l’aide d’un tradithérapeute. Il sert dans ce cas d’intermédiaire entre l’au­-delà et les vivants.

Ces méthodes de guérison traditionnelles ont été le dernier recours d’Adeola Olagunju, sous les conseils de sa famille, lorsque la médecine moderne n'arrivait pas à éradiquer la tumeur qui l’envahissait. Après tout, qu'avait-elle à perdre ? 

Contre toute attente, la tradi­thérapie s’est soldée par un succès. À la suite de cette rémission, elle a commencé à se remémorer les scènes de la procession qu’elle avait vécues puis, elle les a écrites : une façon de se libérer des peurs et des non-dits. L'auto-thérapie était un outil de survie quand tout la condamnait.

Le choix d’Adeola Olagunju donne de la perspective à ce témoignage. C’est à mon sens, une manière de se mettre en relief en tant que protagoniste active de cette expérience et pas juste une simple spectatrice passive de la cérémonie. Il y a une claire volonté de montrer la communion du corps et des forces qui l’animent. L’image ci-dessous peut illustrer une sorte de détachement de l’âme, gravitant autour du corps à la recherche de ressources pour se rétablir.

J’ose imaginer que la difficulté réside dans le fait de mettre sur pied, une expérience dont le souvenir n’est que de l’ordre du ressenti. En effet, conceptualiser la cérémonie de manière fidèle est quasi impossible, en considérant les concoctions hallucinogènes ingérées pour pouvoir entrer en communion avec les esprits. Néanmoins, la photographe nigériane réussit haut la main cette épreuve laborieuse tout en nous faisant ressentir le flot de ses émotions antinomiques : telles que la détresse (de ne pas s'en sortir) et l'espoir (de guérir, condition sine qua none de la cérémonie). Y croire c'est un pas vers la santé.

Par ailleurs, Redemption m’a donnée à réfléchir sur l'image et les conditions d’existence de la tradithérapie. Bien souvent, elle n’est dépeinte qu'en folklore ou en escroquerie à cause son côté insaisissable scientifiquement, en comparaison aux procédés bien répertoriés des actes chirurgicaux et médicamenteux. Ainsi, la médecine traditionnelle n'est que très peu envisagée comme véritable alternative aux traitements lourds de la médecine moderne – dans certains cas. La tradithérapie gagnerait considérablement à moderniser ses activités, en référençant, par exemple, ses membres, ses pratiques et dénonçant les abus qui sont parfois commis.

Entre-­temps, on remerciera Adeola Olagunju pour l’harmonisation scénographique non évidente de ses sentiments et pour sa volonté de mettre l’accent sur un trait de sa culture Yoruba. En s’intéressant de plus près à son travail, on remarque que la société nigériane est un sujet de prédilection. Toutefois, pour Resurgence : A Manifesto, l’oeuvre précédant Redemption, elle fait le choix de dresser le portrait d’une société africaine qui refuse son sort, celui d’être en proie à des polarités socio-religieuses et politiques. Une nouvelle fois, la photographe démontre l’importance qu’a l’identité pour agir de sa vie et non de la subir.