Fanm se potomitan
Quiconque a vécu quelques temps en Haïti a déjà entendu ce proverbe créole. Cette phrase se veut flatteuse à première vue. Et ceci pour deux raisons ; non seulement le potomitan est le support central d’un édifice mais aussi un élément fondamental dans le culte vaudou: Il désigne le poteau central dans le temple. Ce poteau représente l’axe du monde et est censé établir la communication entre le monde des humains et celui des lwas – les esprits – qui servent d’intermédiaire avec le Créateur.
Quand on voit qu’une image empreinte d'une signification aussi sacrale est utilisée pour désigner la femme, on se dit que cette femme potomitan doit être au centre de tout. Elle l’était déjà lors de la cérémonie vaudou qui déclencha la révolte des esclaves haïtiens dans la nuit du 14 Août 1791 sur l’habitation de Lenormand de Mezi, connue sous le nom de la cérémonie du bois Caïman. Tous les historiens s'accordent sur le rôle clé qu'a joué cette cérémonie vaudou dans la révolution conduisant à l'Indépendance d'Haïti. Elle fut un moment de communion pour les esclaves contre le système esclavagiste qui sévissait sur l’île de Saint-Domingue.
Une figure très importante de cette révolution des esclaves c'est Cécile Fatiman, une mambo (prêtresse vaudou), esclave née d'une mère elle-même esclave et d'un père originaire de Corse. C'est elle qui vêtue d'une tunique blanche, plongea le couteau sacré dans les entrailles d'un cochon noir, puis donna le sang de l'animal aux participants pour qu'ils deviennent invincibles. Pourtant le personnage le plus cité de cette assemblée dans les livres d’histoire fut Boukman le houngan (prêtre vaudou) qui présidait la soirée.
De fait lorsqu'il s'agit de compter par exemple le nombre d'ati national (Grand serviteur suprême aka le chef des chefs) nommé par la Confédération nationale des vodouisants haïtiens, je ne trouve lors de mes recherches qu'une mambo nommée par intérim. Pourtant elles sont omniprésentes ces femmes, elles chantent, préparent le temple, s'activent avec la même dévotion. C’est d’ailleurs ce qui a inspiré l’écriture de ce billet. Si vous commencez à vous documenter sur le vaudou, et que vous parcourez les clichés vous remarquerez vite que ce sont souvent les femmes qui sont mises en avant. Pour en savoir plus, j'ai interrogé celles qui étaient le plus susceptibles de m'apporter les réponses : les femmes de ma famille.
Ma mère n'aime pas parler du vaudou, comme beaucoup d’autres en Haïti. La religion a eu sa campagne de boycott qui a porté ses fruits. Une campagne qui commence dès l'aube de cette nation dans un arrêté de Toussaint Louverture datant du 4 Janvier 1800 qui interdit la pratique du vaudou. La violation de cet arrêté entraînait de sévères punitions corporelles ainsi qu’une incarcération. le Saint Siège est le premier état à reconnaître l'indépendance d'Haïti en 1824 pour une plus grande diabolisation du culte des anciens esclaves. Elle envoie donc des missions pontificales sur l'Île, si bien qu'en 1860 le vaudou se pratique dans la clandestinité.
Entre 1935 et 1941 les lois interdisant le vaudou se suivent et se ressemblent. Alors pour ma mère catholique pratiquante c'est un sujet tabou. Pourtant je le sais qu'elle en connaît un rayon dessus. Des anecdotes de son enfance, l'histoire de cette tante lointaine qui était une prêtresse vaudou devenue dans la famille celle-dont-il-ne-faut-pas-citer-le-nom. Je lui fait remarquer qu'avec ces récits le vaudou semble être particulièrement important dans la spiritualité de la femme haïtienne. Elle s'esclaffe : « Gason al nan vaudou tou » les mecs pratiquent pareil.
De son rapport à la spiritualité vaudou j'en saurai très peu. Elle y croit dur comme fer, mais en a surtout peur.
Ma grand-mère est plus décomplexée sur le sujet, la tante tabou c'était sa soeur. Le vaudou elle l’a pratiqué, ou plutôt utilisé comme tout le monde comme elle me l'explique. Quand il n'y a plus de solutions, le dernier recours c'est le vaudou ; les lwas sont toujours là. Tout ça est pourtant derrière elle, elle a tout essayé et maintenant ne jure que par un protestantisme radical. Quand je lui demande si le vaudou au final ce n’est pas une affaire de femmes, photos à l'appui, elle me coupe sec.
D’après elle, le rôle et la place des femmes est le même que celui des hommes, le culte lui a toujours paru égalitaire « Suman se paske avek bel jup yo fi rann pi byen sou Foto yo. Epi bel medam bay bel imaj ». Pour elle les photos c'est probablement juste une question d'esthétique, d'images de belles femmes aux jolies jupes blanches virevoltantes pour le cliché parfait.
Je décide de recueillir le point de vue d'un pratiquant de longue date du vaudou de la région de Jacmel.
Pour lui les filles s'astreignent plus à la pratique du vaudou. En termes de pratique les hommes lors de certaines cérémonies sont majoritaires. De son expérience, une bonne partie des femmes pratiquantes qu'il a connu se sont converties au protestantisme. Les hommes sont enclins pour lui à rester pratiquants. Mais ma question a l’air de l’embêter. Il finit par m’avouer ne pas comprendre mon cheminement de pensée puisqu’il n’y a pas d'affaire de genre dans le vaudou. Notre entretien qui dure 1 heure ébranle toute ma théorie. Parce que son histoire se tient. L'entité choisit qui il veut bien. Un lwa homme comme Baron Samedi peut prendre possession du corps d'une femme et vice versa « Kesyon genre lan pa gen sa nan vaudou ».
Au fil de ses histoires, il confie : si il y’a plus de démonstration féminine de la pratique à la télévision c’est qu’elles sont peut être plus ouvertes, enclins à partager leurs expériences. Avant d’ajouter « c’est l’arbre qui cache la forêt.»
Au final toutes ces interrogations m’ont permis de me rendre compte, encore plus qu’avant, de la complexité des rapports homme – femme en Haïti, même dans le vaudou. Pour saisir ce qui se joue dans cette vision en apparence – et seulement en apparence – matriarcale de la société, il faudra surement remonter à la naissance même de la nation.