Annabelle Aventurin : archiviste acharnée
Ce qui m'a décidé, c'est le côté éphémère du théâtre. C'est à dire que tu répétais une pièce de théâtre pendant trois mois, tu la jouais trois fois, quatre fois, ou peut-être pas du tout. C'était éphémère, il fallait recommencer, alors je me suis dit : un film, c'est quelque chose de costaud, qui reste. On le prend sous le bras, on va le projeter et puis il n'est pas mort.
— Med Hondo, extrait d’un entretien avec François Catonné, 2018
Quelques jours avant notre rencontre en ce mois glacial de février, un an et demi après notre premier entretien en octobre 2021, Annabelle Aventurin se rend chez Doriane Films. C’est avec cette société d’édition et de distribution vidéo qu’elle a coordonné, avec sa collègue Marion Boulestreau, l’édition d’un coffret DVD & Blu-ray qui rassemble, pour la première fois en France, trois films restaurés de Med Hondo (1936-2019), cinéaste franco-mauritanien, dramaturge, acteur, comédien et doubleur légendaire. Le coffret réunit la fable aux accents fanonien Soleil Ô (1969), la fresque musicale tragi-comique West Indies, ou les nègres marrons de la liberté (1979), le film historique Sarraounia (1986) et de précieux bonus, dont un livret de 40 pages qui inclue des textes d’anciens compagnons de route du cinéaste tels que François Catonné, chef opérateur, Maryse Condé, romancière guadeloupéenne et Abdoul War, ancien assistant du réalisateur. Il y a un an et demi, une telle édition DVD paraissait inconcevable. La priorité était de montrer les films en salle pour réparer une circulation commerciale auparavant entravée. En voyant le menu du DVD défiler sur la télévision de l’éditeur, Annabelle me rapporte qu’elle n’a pas pu s’empêcher d’éprouver une certaine satisfaction en imaginant ce même menu apparaître sur l’écran de télé d’un foyer français lambda. Au-delà de la satisfaction, c’est le sentiment du travail bien fait. Ce coffret historique est l’aboutissement d’une épopée heureuse et ardue ; de batailles menées de front par une petite équipe dont Annabelle Aventurin est devenue l’ambassadrice dévouée.
Depuis bientôt trois ans, elle est chargée de la conservation et de la diffusion du fonds audiovisuel de Med Hondo au sein de Ciné-Archives, la cinémathèque du Parti Communiste Français et du mouvement ouvrier. L’archiviste a une expression qui résume bien le rapport qu’elle entretient avec sa mission : « faire corps ». Je ne peux m'empêcher de la prendre au pied de la lettre et de figurer dans mon esprit la dimension body horror (horreur corporelle) de la formule. Je comprends qu’elle a dû fusionner avec Med Hondo lui-même : une fusion mémorielle, temporelle, intellectuelle et physique, si l’on considère que le corps de l’artiste subsiste dans ces pellicules qu’elle a manipulées manuellement ces dernières années. Elle doit se faire intermédiaire physique, passeuse, porte-parole, disque dur, parfois ventriloque ; incarner, défendre et assumer l’éthique esthétique et politique très affirmée d’un auteur franc-tireur et syndicaliste aux positions tranchées et sardoniques, aux élans parfois polémiques. La tâche l’a changée et la mutation est palpable. Sa timidité a été mise à rude épreuve : « À la fin de la journée, ce que j’aime c’est nettoyer des films, les manipuler, les regarder toute seule dans ma grotte ». Elle a été poussée dans ses retranchements, forcée de prendre position, de parler en public dans des tribunes impressionnantes (comme à la Berlinale l’année dernière). Mais quand l'œuvre elle-même est virulente et qu’elle nous interpelle à travers des monologues éloquents qui posent des questions affolantes, elle ne laisse que peu de choix – « Au fait le cinéma, » s’enquiert une voix dans Bicots-Nègres, Vos Voisins (1973), « qu'est-ce que ça signifie au juste pour nous autres peuples d'Afrique, du Tiers-Monde, peuples dit sous-développés, paysans, chômeurs ? » Il faut donc sortir de la grotte, avoir les épaules solides et les pieds bien plantés au sol. Surtout, il ne faut pas trembler, l’auteur veille et juge à travers ses vestiges, et s’armer de cette volonté caractéristique de son parcours à lui : intransigeante et transcendante. La voir présenter un film et parler du cinéaste – j’ai eu la chance de présenter avec elle le court-métrage documentaire Mes Voisins (1971) à l’ENSAD – est donc toujours captivant. Elle mérite bien cette qualité d’experte qu’on lui donne maintenant, et qu’elle embrasse sans humilité aucune, l’égo légitimement flatté : « En vrai, c’est du travail ».
Annabelle Aventurin est exactement là où elle devrait être. Pour maîtriser les savoirs que requiert son poste, elle a effectué un Master pro en valorisation des patrimoines cinématographiques et audiovisuels à l’université Paris 8, et surtout des stages à l’étranger au sein de l’Arsenal-Institut de cinéma et d’art vidéo à Berlin. Elle y a eu l’opportunité de travailler sur le fonds du cinéma expérimental d’Allemagne de l’Ouest de la fin des années 1950 à la fin des années 1980. Puis, elle passe par la Fémis où elle s’occupe de l’indexation et du nettoyage de toutes leurs masterclass des années 1970 à aujourd’hui. À la suite d’un passage à vide professionnel, elle reprend ses études et poursuit une formation de documentaliste multimédia à l’INA, avec l’idée de s’ouvrir à des types de médias autres que le film argentique. Mais après quelques errances dans des recoins sinistrés de l’audiovisuel français, elle revient à sa première passion: les archives physiques et les archives films.
Elle date le tournant où elle prend résolument cette mission d’archiviste à bras le corps à l’automne 2021. Tous les jours, pendant deux semaines, les spectateurs parisiens sont invités à découvrir ou redécouvrir le cinéma de Med Hondo dans le cadre d’un cycle inédit au cinéma Grand Action. Le contexte n’est pas favorable à une telle initiative, à savoir un cycle autour d’un cinéma de patrimoine africain aux accents révolutionnaires organisé quelques mois après la fin du confinement. Malgré tout, c’est un franc succès. Annabelle Aventurin anime chaque séance spéciale, invitant des intervenants choisis avec soin tels que l’historien Amzat Boukari-Yabara, Célia Potiron du collectif Piment et Binetou Sylla, productrice du label Syllart Records. Leurs interventions s’ajoutent aux témoignages précieux d’anciens collaborateurs du cinéaste et de son ayant-droit, sa sœur Zahra Hondo. Au-delà de ces projections inédites et exceptionnelles – sachant les efforts sisyphéen du cinéaste pour que son œuvre existe malgré les censures et l’indifférence des institutions françaises – la vraie réussite du cycle réside dans cette constitution, soirées après soirées d’une communauté transgénérationnelle partageant enfin cette histoire du cinéma français et panafricain. Elle a permis des moments magiques et déterminants comme lors de la séance spéciale de Soleil Ô durant laquelle un homme inconnu, se lève dans le public et décline son identité : « Je m’appelle Abdoul War, j’ai été pendant trente ans le collaborateur et l’ami de Med Hondo. » Par la suite, il détaillera plus précisément les contours de cette collaboration : stagiaire sur le tournage de West Indies et co-scénariste de Sarraounia, adapté du roman d’Abdoulaye Mamani.
Aujourd’hui, Med Hondo n’est pas là pour savourer l’engouement que génère son œuvre dans le pays où il a créé et vécu jusqu’à sa mort. Mais ainsi vont les destins des artistes noirs d’une certaine génération en France. D’abord, on entrave la création de leurs œuvres. Ensuite, quand elles parviennent enfin à exister, la censure intervient. À la censure s’ajoute la négation puis l’indifférence historique, armes fatales qui créent cette rupture mémorielle entre les anciennes et nouvelles générations. Enfin, car on ne cesse jamais de piétiner : on attend que le temps et la mort fassent leur boulot et on confisque à l’artiste la reconnaissance à laquelle il avait le droit de son vivant. On le célèbre à sa mort comme « la voix française d’Eddie Murphy » en dissociant son activité tout aussi extraordinaire de doubleur de son travail de cinéaste radical. Alors que l’un ne va pas sans l’autre : l’un existe pour l’autre. C’est le paradoxe fascinant de la carrière de Med Hondo qui n’a, par ailleurs, jamais été invisible. Du fait de son travail de doublage, tout le monde connaît Med Hondo. Sa voix est inscrite dans des œuvres dominantes qui lui garantissent déjà une certaine forme d’éternité. Il s’agit maintenant de lui recouvrer tous les aspects de son identité artistique.
C’est en 2015 qu’Annabelle Aventurin découvre Med Hondo lors d’une séance de Soleil Ô au Videodrome 2 à Marseille. C’est une copie beta assez dégradée mais déjà elle se demande : « C’est qui cet OVNI? ». West Indies est montré au Centre Pompidou, dans une version beta aussi, un an plus tard mais elle manque le rendez-vous. Puis arrive cette fiche de poste trop belle pour être vraie : « Une espèce d’alignement assez inhabituel. » Bon endroit, bon moment, résume-t-elle. « C’est la première fois que je fais un travail qui peut aussi allier des affinités personnelles et c’est trop agréable. » Elle ne peut s’empêcher d’identifier des coïncidences, des lieux partagés : Marseille où elle a vécu et où Med Hondo travaille comme docker lorsqu’il arrive en France en 1958. Berlin où elle a étudié et où le cinéma de Hondo est célébré dès ses débuts (projection de Mes Voisins en 1971 pour la première édition du Forum de la Berlinale). Mais les convergences deviennent plus troublantes au fur et à mesure qu’elle avance dans cette cosmogonie kaléidoscopique, se voyant interpellée à un niveau d’intime presque insolent.
Elle me raconte un rêve, certainement provoqué par le montage du making-of de West Indies (« un film qui me travaille beaucoup ») en bonus dans le coffret DVD. Dans ce rêve, un vinyle joue la bande originale du making-of et projette en hologramme les différents acteurs et figurants qu’elle a identifiés en convoquant notamment la mémoire d’Abdoul War et de la chanteuse haïtienne Mariann Matheus. Les acteurs identifiés crient tour à tour leur nom à haute voix. Parmi eux, apparaît la silhouette familière d’un aïeul disparu depuis maintenant quinze ans, son grand-père, Bernier Aventurin : « Dans le film, il y a un acteur qui s’appelle Cyril Aventurin, qui est un parent éloigné que je ne connais pas. Il y a tout un truc autour de ces acteurs, de cette diaspora antillaise à Paris, qui fait forcément écho avec mon histoire. »
Née en 1991, à Paris, Annabelle Aventurin passe son enfance à Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Fille d’un père Guadeloupéen et d’une mère Réunionnaise, longtemps elle peine à faire sienne la dimension diasporique de son histoire familiale. Travaillant en parallèle sur le fond d’un cinéaste itinérant qui a eu pour « obsession de fédérer des diasporas à Paris », des connexions troublantes se font forcément. Pour parler de Med Hondo, elle utilise l’expression de « tourbillon identitaire » qui pourrait tout aussi bien caractériser son propre rapport à elle-même et au monde. Dans Ballade aux Sources (1965), premier film en cours de restitution par l’archiviste, le lucide cinéaste dit: « Je sais. Je suis l'embouchure où cent fleuves mêlent leurs eaux impétueuses, je suis comme une nuit qu'habitent cent tambours. » Cette itinérance et ce déchirement identitaires et territoriaux sont caractéristiques de l’esthétique dissonante de son cinéma, prenant leurs sources dans une biographie agitée – né en Mauritanie ou au Maroc, fils d’esclaves affranchis, Maure à la belle tête de malgache, immigré en France, et s’abritant derrière cette identité imprécise et plus élastique d’Africain.
L’hybridité de Hondo se retrouve aussi dans l’histoire personnelle et familiale d’Annabelle Aventurin. Elle est en partie documentée dans son premier film, Le Roi n’est pas mon cousin (2022), dont le sujet principal est Elzéa Foule Aventurin, sa grand-mère philosophe, drôle et mystérieuse, disparue en 2020. L’objet est un véritable film d’archives aux tendres apparats de home-movie, à la croisée de l’histoire familiale et de celle de cet archipel, la Guadeloupe. Elzéa Foule Aventurin a tenté de faire l’inventaire littéraire de ce territoire dans un ouvrage rare Karukera ensoleillée, Guadeloupe échouée (1980) dont les extraits scannés rythment le film.
La première fois que je rencontre Annabelle Aventurin, quelques mois avant le cycle au cinéma Grand Action, elle n’envisage pas encore l’existence d’un tel film. Elle dispose d’une masse de rush de séries d’entretiens avec sa grand-mère datant de 2017, des images de la Guadeloupe qu’elle a filmées en DV ou en super 8 à chaque fois qu’elle s’y est rendu, et d’autres images capturées par son grand frère datant de 2006. Pendant le confinement, le temps s’arrête. Elle se « balade » dans ses archives. Elle discute avec le réalisateur Maxime Jean-Baptiste dont elle avait vu le film, Nou Voix (2018). Elle y cerne des cohérences – un certain rapport à l’identité métisse, une relation à distance avec l’île ou le territoire d’origine. Bref, un interlocuteur extérieur à l’expérience proche de la sienne. Les deux organisent des résidences de montage ici et là, brassant la matière des rushs pour en extraire ce court-métrage de 30 minutes. J’ai eu l’occasion de voir le film dans le cadre d’une programmation du Festival international des cinémas différents et expérimentaux de Paris en 2022. J’y ai découvert le portrait d’une grand-mère à qui l’on pose de grandes questions, sûrement à la recherche de réponses qui aideront à naviguer le monde ou au moins sa propre histoire. Mais la dame résiste et se dérobe. Elle dit d’emblée, donnant le ton, qu’elle ne sait pas qui elle est. Pour l’archiviste qui tient la caméra, la frustration est grande. Pour la spectatrice glissantienne devant l’écran, la joie est immense. Les grands-mères aussi ont le droit à l’opacité.
C’est à son lieu de travail actuel, à Ciné-Archives, qu’elle a pu scanner certains supports de son court-métrage. D’une certaine manière, les spectres de ces deux géants, Med et Elzéa, se sont côtoyés. Dans la réalité, ce ne fut pas le cas, mais ça aurait pu l’être : les deux ont habité la même époque, celle d’un panafricanisme fervent et des migrations voulues ou imposées. Tout au long de ses entretiens et dès les premières minutes du film, Elzéa retrace son passage en Afrique, de la Guinée indépendantiste au Sénégal de Senghor. Mais le trait d’union entre les deux s’appelle étonnamment Maryse Condé, contemporaine de Hondo ayant vécu à Dakar tout comme Elzéa Aventurin. C’est en travaillant sur le livret du coffret DVD qu’Annabelle Aventurin apprend que les deux femmes se sont connues. Entre autres affinités cryptiques, elle identifie aussi cet orgueil partagé entre Elzéa et Med, qui prend son origine dans leur parcours atypique – le mot transfuge, dit-elle, ne leur rend pas justice – des réussites sociales déterminantes arrachées à un monde où se faire une place, surtout dans les arts, n’était pas évident.
Ceci dit, Med Hondo n’est pas le plus mal loti de ces auteurs et figures d’un cinéma noir français dont le grand public découvre peu à peu l’existence (de Sarah Maldoror en passant par Julius-Amédée Laou, récemment célébré à Berlin, Paulin Soumanou Vieyra, dont le fonds se trouve dans l’état d’Indiana aux États-Unis, et bien sûr Euzhan Palcy récemment oscarisée mais dont on attend toujours la ré-édition de Simeon, ou encore Sanvi Panou, comédien, réalisateur, producteur, distributeur et fondateur du cinéma Images d’ailleurs ). A la faveur d’initiatives de restaurations, de rétrospectives et d’expositions ; c’est une histoire cohérente qui commence à s’écrire.
Pour Med Hondo, l’histoire s’écrit principalement dans ces locaux de Ciné-Archives où il a déposé son fonds en 2015. Quand je la retrouve dans son fief, Annabelle Aventurin me guide autour des équipements qui permettent de manipuler les éléments patrimoniaux de la collection (« les négatifs sons, les négatifs images, les interpositifs qui sont des copies positives tirées de négatifs »). Elle est loquace lorsqu’elle parle des fonctions précises de ses équipements et du travail de restauration en général. Ce savoir-faire est essentiel. Nettoyer, refaire les collures, numériser les films puis les bandes magnétiques sons pour qu’elles correspondent aux images. Le métier attire forcément des nerds au carré qui se réjouissent « de tripoter des films ». Ce sont eux qui savent qu’il y a des températures à respecter selon le type de négatif, un taux d’humidité adapté à ce qui est stocké, qui parlent de pellicules et de films comme d’une matière organique et vivante qu’il faut aérer, sortir un peu. Que « le conditionnement est important, qu’il faut des boîtes en polypropylène et pas en plastique, certainement pas en fer » et qu’il ne faut pas mettre les pellicules dans des sachets plastiques à l’intérieur des boîtes, car les films doivent respirer bien que, « ça dépend aussi du triacétate de cellulose ». Derrière ce jargon technique repose la possibilité d’existence même de ces films de patrimoine marginaux. Il apparaît évident que de ces conditions et normes non respectées peut résulter la disparition tragique d’œuvres cinématographiques et d’archives majeures, menant à une version lacunaire de l’histoire du cinéma.
Lorsqu’est évoquée la question de la représentation dans le cinéma et l’audiovisuel, l’horizon des débats dépasse rarement les métiers de lumières : acteurs, réalisateurs, producteurs et scénaristes (l’ordre est important). Puis dans les métiers techniques, la hiérarchie continue en fonction du degré de séparation avec les positions précitées. Rarement, bien sûr, sont évoqués ces métiers-là. Des métiers termites, très loin des projecteurs. Des métiers qui nous concernent d’autant plus que les œuvres d’artistes marginalisés méritent une attention et un soin supplémentaires. La marginalisation est totalisante, elle entrave aussi bien la création et la production des œuvres que leurs conditions et possibilités de conservation.
Annabelle Aventurin célèbre l’édition DVD mais avec prudence car l'obsolescence concerne tous les supports. Le cloud ne nous sauvera pas. Les disques durs s’abîment aussi. Tous les deux ans, elle programme un backup de ses disques durs craignant de tout perdre, particulièrement ces rushs précieux qui contiennent le souvenir de sa grand-mère. C’est aussi sa mission : constamment réfléchir à la vie des films, à comment les préserver au mieux. Elle y pense pour le fonds Hondo qui a la chance d’être en partie conservé dans les Archives départementales de la Seine-Saint-Denis. Au cœur de ces problématiques, de ces savoirs, de ce métier d’archiviste, réside l’aspiration à une forme d’éternité et l’anxiété profonde de la fin programmée. Med Hondo le dit bien dans la citation en exergue de ce texte extrait de son tout dernier entretien : le cinéma alimente cette illusion mieux que toute autre forme d’art et il s'équipe de tous les outils possibles pour continuer à nous faire croire que l’éternité existe, qu’il est capable de battre le temps.
En ce moment Annabelle Aventurin essaye aussi de battre le temps. Avec Le Roi n’est pas mon cousin, elle voyage pour présenter la Guadeloupe d’Elzéa Aventurin au reste du monde à Florence, Bologne, Glasgow et à New York. On lui demande parfois si elle compte réaliser un autre film. Mais elle est incapable de répondre : elle habite un autre espace-temps. Elle s’attache à accompagner le film et à le présenter où il est programmé (il cumule déjà une trentaine de sélections) pour créer des moments où elle peut encore voir sa grand-mère. Les futurs films attendront. La priorité est de faire durer ces moments qu’elle partage avec la figure illustre d’Elzéa, et prolonger aussi longtemps que possible « cette longue lettre d’adieu ». Le point final arrivera certes un jour, mais il n’y a pas d’urgence, il peut prendre son temps.
Quelques liens :
Pour pré-commander le coffret DVD (sortie début Avril) • Financement participatif pour la restauration sonore de Ballades aux Sources • FLIMM 2023 – Appel À Film
Fanta est une critique de cinéma et scénariste basée à Paris. Elle a écrit sur le cinéma, la musique ou l’art contemporain pour diverses publications (Sight & Sound, The Village Voice, Flash Art, Pitchfork, Les Inrocks). Depuis 2020, elle développe des projets de films et de séries.