À 15 ans, Nancy-Wangue documente sa banlieue

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Je suis tombée sur le travail de Nancy-Wangue entre deux explorations d’Instagram, et ses clichés en noir et blanc m’ont instantanément captivée. Sur son profil, les scènes de vie banales d’adolescents se mêlent aux portraits de famille plus intimes et aux cartes postales Made in Cameroon. À quinze ans seulement, cette jeune vitriote se réapproprie les murs d’une banlieue trop souvent pensée au masculin, récemment devenue la coqueluche des éditos mode. Quand je l’ai contactée pour une interview, je n’avais aucun détail sur elle, si ce n’est un profil dont la structure témoignait de sa jeunesse et sa fougue. Le jour j, dans un café de l’est parisien, je vois double. Elle est venue accompagnée de sa soeur jumelle et d’un chaperon au large sourire : son père. Locks relevées en chignon haut, col roulé moutarde, Nancy est timide mais elle a l’air préparé.

Peux-tu nous en dire plus sur toi ?
Je m’appelle Nancy-Wangue Moussissa, j’ai 15 ans, je suis en seconde et mes parents sont d’origine camerounaise. J’ai commencé la photo à 13 ans, quand mon père m’a acheté mon premier appareil, un Olympus PEN E-PL1. C’est celui que j’utilise toujours.

Comment t’es tu mise à la photographie ?
J’ai commencé à m’intéresser à la photographie à 11 ans, à une époque où j’étais beaucoup sur internet et passais énormément de temps sur les sites de musique et de photographie. Je pouvais passer des journées sur des forums à apprendre les techniques, et je faisais même des dossiers pour apprendre le vocabulaire. Par la suite, j'ai acheté des magazines pour en apprendre plus sur les techniques et les différents types de photographie. C’est quelque chose qui m’a fascinée dès le départ.

Ta première photo ?
Ma soeur jumelle. Elle a été mon premier modèle. C’est grâce à elle que je me suis perfectionnée.

Qu’est-ce qui t’inspire ? Des photographes en particulier ?
Je suis inspirée par les albums photos de famille de mes parents, avec mes oncles et tantes. Il y a une certaine joie qui se dégage de ces photos et c’est très inspirant. Sinon il suffit que je sorte, que j’aille au cinéma, que je sois de bonne humeur et je m’imagine des trucs dans ma tête. J’aime bien faire de la photographie de mode, mais ce qui m’intéresse le plus c’est la photographie documentaire. Donc forcément, le travail de photographes noirs comme Wayne Lawrence, Andre D. WagnerJamel Shabazz m’inspire beaucoup. D’ailleurs je ne m’intéresse qu’aux photographes noirs, je ne sais pas pourquoi.

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Je suis inspirée par les albums photos de familles de mes parents, avec mes oncles et tantes. Il y a une certaine joie qui se dégage de ces photos et c’est très inspirant.
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Effectivement ils sont principalement afro-américains et ils shootent souvent en argentique, tu as déjà essayé ?
J’en ai fait en argentique mais ça coûte cher. J’aimerais bien recommencer mais j’attendrai d’avoir un peu plus d’argent. Parce que pour le moment vu que je shoote en numérique ça ne me coûte presque rien. Mon père m’a acheté mon premier appareil photo et ma mère m’avait acheté l’appareil argentique et les pellicules. Sinon toute seule, je ne pourrais pas le faire.

J’ai remarqué que tu fais aussi de la photographie de rue et il n’y a pas beaucoup de femmes présentes dans ce type de photographie, encore moins des femmes noires. Est-ce que c’est difficile d’aborder tes sujets potentiels ? Comment tu fais pour gagner leur confiance ?
J’ai encore beaucoup de mal à parler aux gens mais parfois je me dis qu’il faudrait que je le fasse sinon je ne vais rien faire. C’est quelque chose qui est assez difficile pour l’instant en tout cas. Mais dès qu'ils me voient avec mon appareil photo, les gens savent que je suis photographe et c'est plus facile quand il me suffit de demander. D’ailleurs, je suis allée au Cameroun en 2015 ; j’avais une exposition prévue dans une galerie d’art de Vitry à mon retour, donc je me suis forcée à aller vers les gens et au final ça a marché. Mais une fois de retour en France, c’était différent.

Tu shootes où en général ?
À Vitry-sur-Seine dans le 94, à côté de la Mairie pas loin de la cité de La Sablière. Je suis née à Sevran et j'ai grandi à Vitry-sur-Seine. Je shoote autour et dans la ville.

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Shooter des personnes qui me ressemblent est ce qu’il y a de plus naturel.
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Et tes parents, qu’est ce qu’ils en pensent ? Ils te soutiennent ?
J’ai vraiment vu qu’ils étaient fiers de moi et ils m’encouragent. Ils veulent que j’en fasse quelque chose de constructif, pas que ce soit juste pour m’amuser. Dans mon quartier, il y a aussi l’association du SMJ (Service Municipal de Jeunesse) où j’allais avant qui m’a beaucoup aidée ; c’est grâce à eux que j’ai pu faire des photos du concert de Niska. Et au lycée, il y a une professeur qui est une de mes plus grandes supportrices. Personne ne m’a jamais dit d’arrêter, on m’a toujours poussé à continuer.

Et c’est peut-être pour ça que la photographie documentaire t’attire plus ? Parce que tu veux en faire quelque chose de constructif...
Exactement, je veux raconter des histoires.

J'ai remarqué que tes sujets sont principalement noirs, pourquoi ?
Parce que je suis noire déjà. Donc shooter des personnes qui me ressemblent est ce qu’il y a de plus naturel. Et puis je ne connais pas vraiment de personnes blanches. Je n’ai pas grandi avec des blancs donc il ne font pas vraiment partie de mon imaginaire, je ne sais pas quoi faire de leurs corps. Alors que shooter des sujets noirs c’est naturel.

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Ça fait 1 ou 2 ans que l’architecture brutaliste des banlieues a fait son entrée dans les éditos mode. Donc maintenant ceux qui ont toujours regardé la banlieue de loin, de leur confort parisien « intra-muros » , la décrète à la mode. Qu’est-ce que tu en penses ?
J’appelle ça de l’appropriation culturelle. C’est juste à la mode, ça se voit qu’ils se servent juste de notre esthétique et qu’ils ne la valorisent pas. Je ne le vois pas du tout d’un bon oeil. C’est un peu comme ce qui se passe avec la marque Thrasher. Je comprends les skaters qui se sentent un peu volés ; on leur prend leur culture et ils ne se sentent pas valorisés or il faut valoriser ceux qui font les cultures. J’ai souvent eu des débats avec ma soeur à ce sujet.

Nelly-Wangue : Moi j’ai l’impression qu’ils font des reportages, qu’ils sont extérieurs et qu’ils viennent en restant étrangers. Après ils le montrent aux gens, c’est cool. Mais je peux comparer cette mode là à celle des Nike TN. Quand on étaient petites, les grands de la cité ils en portaient et tout le monde disait « Ah mais c’est dégueu » et maintenant ils agissent comme si c’était eux qui les ont mises à la mode. Dans les cités en ce moment on porte les Asics multicolores. Dans quelques années tu vas voir, ils vont porter ça et dire que c’est à la mode. C’est quelque chose que j’ai remarqué sur Instagram en particulier.

En parlant d’Instagram, comment tu t’en sers Nancy ?
Grâce à Instagram je peux suivre les photographes qui m’inspirent. Je ne sais pas trop comment faire un site internet et je n’ai pas le temps avec le lycée. Je m’en sers donc principalement comme un blog où je partage mes photos.

Tu envisages d’en faire un métier ?
Oui, je ne me vois pas faire autre chose. Prendre des photos c’est ce qu’il y a de plus naturel pour moi. Je ne me vois pas derrière un bureau. Après le bac je veux continuer mes études dans le journalisme et me spécialiser dans les images. Je veux être envoyée partout dans le monde pour prendre des photos et raconter des histoires.

Nancy-Wangue Moussissa est sur Instagram 


Rhoda Tchokokam a créé Atoubaa en 2016. Elle se décrit comme extrémiste du R&B et s’intéresse à la manière dont les questions de race et de genre influencent les oeuvres culturelles, notamment musicales. Membre du collectif Piment, elle a co-écrit le livre « Le Dérangeur : petit lexique en voie de décolonisation » paru en 2020 aux Editions Hors d’Atteinte.