Helma : Suite

Quelle place pour la chaleur de la Soul en France, pays orphelin de ces voix féminines et chaleureuses telle une alcôve ? Comment donner à voir et à entendre une sensibilité si peu explorée ? C’est un défi qu’a choisi de relever Helma, parfois de façon directe et d’autres fois via des chemins détournés et sinueux. Helma est chanteuse mais aussi artiste multimédia. Ainsi la vidéo, l’installation et la performance font partie du jeu qu’elle crée pour elle et pour nous, auditeurs, spectateurs. Une approche généreuse et audacieuse qui a séduit Atoubaa.

Mercredi dernier à la Générale à Paris, l’artiste donnait à voir toutes les facettes de son art lors d’un showcase pour son titre « Le Prix du Devenir ». L’occasion de célébrer l’avant-première d’un clip réalisé par ses soins et de plonger de façon totale dans l’univers d’Helma grâce à plusieurs installations interactives, une série de lives et un DJ SET. En somme, une soirée placée sous le signe de l’abondance. C’est donc avec plaisir que nous avons rencontré Helma qui nous a dévoilé son parcours et ses inspirations.


Il s’est écoulé exactement deux ans depuis la sortie de ton titre « Europe » dont on avait partagé le clip. Que s’est-il passé entre ce moment et maintenant, avec la sortie du clip du « Prix du Devenir » ?
Ça a été intense émotionnellement et il s’est passé plein de choses… J’ai essayé de comprendre ce que je voulais et où j’allais, avec ma musique et de manière générale aussi. A l’heure actuelle c’est toujours abstrait mais j’apprends à accepter ça progressivement on va dire. Je prends mon temps, j’expérimente avec ce que j’ai, je donne ce que je peux, je prends ce qui me convient et j’apprends. Grâce à ma présence sur les réseaux sociaux, j’ai eu la chance de pouvoir me représenter sur scène à plusieurs reprises et de faire des rencontres intéressantes. C’était cool ! Après j’ai aussi arrêté les études, du coup l’indépendance financière m’a rattrapée. Ah ! Et j’ai eu le coeur brisé aussi, mais on est là hein !


D’ailleurs ce premier single, le « Prix du Devenir »  est une ballade au groove lancinant. Tu parles entre autres de la quête de soi, mais quel est le véritable prix pour devenir soi selon toi ?
En fait j’ai écrit cette chanson en réponse à un enchaînement de désillusions par rapport à des attentes que j’avais de la vie… Je pensais qu’en grandissant tout s’affirmerait plus et que les doutes ne feraient que s’évaporer. À la base, j’avais écrit les paroles de cette chanson sur une instrumentale qui me donnait juste envie de débiter pour me rassurer moi-même par rapport à ma situation. Je crois que c’est l’un des premiers sons sur lesquels j’ai travaillé avec João PI. Il m’avait envoyé plein de boucles d’instrumentales groovy et au final j’avais plus envie de me détacher de ce sentiment d’amertume. Plusieurs lignes de mon texte initial ont sauté pour faire une sorte de célébration du fait que je ne sache rien. Donc je pense que le prix pour devenir soi c’est accepter l’incertitude… « mais en vérité je ne sais même pas » (rires)

Dans la vidéo de ce même titre, on te découvre entourée d’une dizaine de personnages féminins dansant, sur un fond chaud — Safran ? Brique ? — Que nous racontes-tu avec ce clip, son ambiance, son esthétique, ses figurantes ?
Haha « safran brique » c’est super précis ! Alors l’idée principale du clip est partie des paroles du refrain, « Moi c’est Helma ». C’était le premier clip que j’écrivais après une longue période et je trouvais qu’il y avait un concept à mettre en avant autour de l’identité. Au début j’étais super dispersée, j’imaginais plein de choses irréalisables sans moyens. Au final, je me suis mis une deadline et je suis partie sur l’idée de rassembler toutes ces filles que je connais de près ou de loin. Je me disais qu’elles représenteraient toutes une partie de moi dans la vidéo. Comme elles ne se connaissaient pas et qu’elles ne sont pas pros, c’était important pour moi de les mettre à l’aise dans une atmosphère chaleureuse. Pour résumer grossièrement : j’ai écrit une note d’intention avec un scénario et un moodboard, puis j’en ai parlé à Christ et Swann qui m’ont aidé à réaliser la vidéo, j’ai fait une mini-campagne de crowdfunding, envoyé un mail aux filles, demandé à une amie si le tournage pouvait se faire chez elle, et ça s’est fait. C’est la phase du montage qui a été la plus déterminante pour moi. L’intention initiale était de faire en sorte que ces parties de moi s’animent, s’emmêlent, se séparent continuellement et qu’on se demande qui est Helma.


On sent dans ton écriture une certaine maturité et des interrogations qui sont presque métaphysiques comme quand tu dis « est-ce réellement intéressant de projeter une fin sans commencement » par exemple…
Sûrement parce que je me pose beaucoup de questions… L’écriture me permet de prendre conscience et de prendre de la hauteur sur ce que je vis. Après j’essaie de faire en sorte que ça rime et que ça ait du flow parce que ça rend tout plus agréable et amusant.


Tu travailles avec des musiciens et incorpore des instruments live à ton son. C’est une approche assez différente d’une partie du R&B contemporain classique qui emprunte beaucoup à la trap, de l’instrumental à la façon de poser sa voix. On se demandait en conséquence quelles sont tes influences, tes premiers éveils musicaux ?  
Quand j’étais plus jeune mon père gravait des CDs qui ont accompagnés de nombreux voyages, avec des sons allant de Mary J. Blige à Diam’s en passant par Koffi Olomide. Le dimanche, ma mère aimait bien écouter du zouk et de la rumba congolaise les jours de grand ménage. J’ai toujours aimé le hip-hop et tout ce qui est très émotionnel donc ce que j’écoute peut osciller entre Snoop Dogg et King Krule. J’ai été active sur le web super tôt et ça m’a permis de découvrir les lives de Sade, les performances d’Eartha Kitt, et des artistes comme Betty Davis ou Kilo Kish. J’aime aussi beaucoup voir les artistes en live, les voir interpréter, créer du lien avec l’audience et raconter des histoires.

En ce qui concerne ce que je fais, je travaille principalement avec [João PI] depuis ces deux dernières années. Et au-delà de ça on est vraiment amis, donc on échange beaucoup. Musicalement, on s’est retrouvés sur le R&B dans sa grandeur. Il m’a toujours impressionnée avec ses instrumentales et son humilité depuis qu’on travaille ensemble, c’est un super guitariste et pianiste autodidacte.

Auteure, compositrice et interprète mais aussi vidéaste, monteuse et désormais plasticienne puisque tu fais également des installations, tu es une artiste pluridisciplinaire. Comment en es-tu venue à combiner toutes ces disciplines ?
J’ai mis beaucoup de temps à conscientiser le fait que je fais de l’art parce que ma démarche me paraissait anodine au premier abord. Je partageais des bribes moments de vie, je faisais du lipsync sur des morceaux existants parce que ça m’amusait. Depuis 2013, je partage des contenus audiovisuels sur YouTube, et ça m’a donné envie de faire de la réalisation. J’ai suivi une formation pluridisciplinaire en deux ans qui m’a permis d’acquérir un fragment de compétences en communication, informatique et audiovisuel. Cette formation m’a ouvert à l’entreprenariat ; avec une bonne amie on a dû mener un projet étudiant multimédia sur un an et demi. Je crois que ça a renforcé mon goût pour le risque et que ça a bien égaré mes parents… Par contre je n’ai aucune formation artistique ou vocale, [et] je bricole aussi avec mon corps et le mouvement. Au final c’est ce que j’aime faire réellement, ça me libère. Si ça peut toucher un minimum de personnes, c’est génial ! Je pense que ce sont les rencontres et les découvertes que j’ai pu faire qui m’ont permis de m’affirmer et de vouloir expérimenter davantage.

Quels sont tes futurs projets ? Où est-ce que tu te vois dans disons 5 ans ?
Je souhaiterais sortir un premier projet musical et multimédia. J’ai d’ailleurs lancé une campagne de crowdfunding parce que j’ai besoin de soutien pour que ça soit qualitativement effectif. Dans 5 ans… Je me vois vivante déjà… J’ai du mal à me projeter mais j’aimerais que mon travail soit plus accessible, avoir un entourage solide, pouvoir subvenir à mes besoins grâce à ce que j’aime faire, avoir acquis plus de techniques et appris encore plus de choses de la vie.

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Écoutez le titre et ses différents remixes ci-dessous :

Cette interview a été menée par Christelle Oyiri et Gaëlle Ako