AFROPE(r)A : Ode

Ces femmes se dodelinaient suavement sur de la musique afro-américaine comme pour marquer leur territoire. Elles répétaient avec talent les pas de danse qu’elles avaient fini par apprendre à force de visionnages des clips sur YouTube ou MTV Base. Certaines défiaient les forces de l’air en faisant mover leur masse de cheveux crépus, d’autres au contraire, comme leurs copines blanches, ont voulu que le vent époussette la pointe de leurs cheveux tissés en un coup de tête qu’elles avaient fini par maîtriser. Elles étaient belles et sensuelles avec des tenues dignes des collections de Stella Jean mais abordables à leurs bourses d’étudiantes ou d’intermittentes à l’emploi. Un joint circulait entre elles, face à la cigarette qui faisait moins d’adeptes. Des hommes, autour de l’espace de danse improvisé, comme des phares sans lumière, espéraient mater leur gros boule, qu’on prête à toute femme noire bien en règle. Elles écoutaient Ton invitation de Louise Attaque, Le Paradis blanc de Michel Berger. Se remémoraient alors les samedis soirs devant les émissions de variétés ringardes de Jean-Pierre Foucault où on rendait hommage aux tubes de Starmania avec une nostalgie transpirant la mélancolie. Leurs corps s’ensuavaient de nouveau sur un tube R&B de leur adolescence. Ces Afro-Américains savent y faire, on se dit. Ils ont trop la classe dans le monde entier, pense-t-on ingénument. Avec B.O. en tête de liste et leurs musiques qui ont fait la soundtrack de leurs luttes, de leurs premiers amours, de leurs fiertés. Noir et Américain va de soi dans l’imaginaire collectif, noir et européen semble plutôt antinomique. En France, on n’acceptera jamais l’idée de les appeler Afro-Françaises ou même Afropéennes françaises : il y a ce concept de la République qui rend politiquement incorrect ce genre d’affirmation. On dit les Français-e-s, un point c’est tout. Même si l’on sait qu’il existe des indigènes dans ce prétendu groupe homogène. Du moins, on feint de les ignorer, de les minorer. On ne manque pas de les désigner. Quoi qu’il en soit, elles sont à la marge de ce qu’on pense être la typique française qu’on aime à glorifier et exporter à travers les millions d’écrans du monde entier dans les pubs Chanel. Elles occupent un autre espace plus terré et moins visible mais tout aussi légitime. Puisque c’est bien de légitimité qu’on manque lorsqu’on affirme « Je suis Noire et Française. »


AFROPE(r)A met en voix des intimités, des ressentis, des univers de femmes afrodescendantes vivant dans un contexte occidental blanc. La question raciale est de ce fait envisagée par le prisme de l'Histoire qui l'a fait naître. Leurs rapports à leurs corps, à leurs féminités et la perception que les autres en ont, sont des thématiques abordées. Les voix intérieures de ces femmes ne sont jamais très loin du politique.  

Marie-Julie Chalu est comédienne et joue dans « Phèdre/Salope » du 14 au 17 mars à 
La Loge.